Respect des règles constitutionnelles et préoccupations nouvelles dans le recrutement des hauts fonctionnaires

L'ENA

Réaction à l’article du Monde du 16 décembre 2019 sur la réforme proposée par Frédéric Thiriez Le Monde

 

1/ le respect des règles constitutionnelles

Le principe de la séparation des pouvoirs inscrit dans la constitution oblige à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. Cela a d’abord pour conséquence d’assurer un recrutement spécifique des magistrats de l’ordre judiciaire, la réaction violemment négative des magistrats à la sortie de leur audience par Frédéric Thiriez est tout à fait justifiée. La juridiction administrative échappe partiellement à cette contrainte mais son statut doit protéger son indépendance, il en est de même de la Cour des Comptes, nous devons le rappeler en tant qu’anciens élèves de l’ENA.

Pour l’élaboration de la loi par le Parlement, les administrations centrales concourent à l’élaboration des projets de lois et sont pour cela en relation régulière avec les fonctionnaires des deux assemblées. Il n’y aurait donc pas d’inconvénient à assurer un recrutement commun à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui et les passerelles pourraient se développer.

Les changements politiques réguliers intervenus au cours des dernières décennies imposent en France, à l’inverse des Etats Unis et de son spoil système, de lutter contre une politisation de l’administration et de défendre la permanence de l’Etat, une des bases de  notre Constitution. Cela est vrai pour tous les corps recrutés  par la voie de l’ENA comme pour les autres modes de recrutement des hauts fonctionnaires, notamment ceux des corps techniques. Cela est vrai autant de l’Inspection Générale des Finances, que des  administrations centrales,  du Corps Préfectoral ou du Quai d’Orsay.

Les conditions rigoureuses qui régissent le recrutement par l’ENA sont, aujourd’hui, à ces égards, satisfaisantes et leur remise en cause par un bouleversement de ces  modes de recrutement tel qu’il semble envisagé, ne saurait garantir ce que les pères fondateurs de l’école ont eu à cœur de développer : le respect rigoureux des règles du service public  par ceux qui concourent à l’autorité.

2/ préoccupations nouvelles

Lorsque l’ENA a été créée au lendemain de la guerre, la France connaissait une centralisation rigoureuse. L’Etat était sollicité dans les domaines les plus variés, les préfets étaient l’exécutif du Conseil Général, les administrations techniques de l’Etat fonctionnaient dans une stricte hiérarchie. Les élus locaux ne pouvaient compter que sur les jeux d’influence pour orienter des décisions en leur faveur.

Des préoccupations nouvelles se sont exprimées, qui  remettent en cause, dans notre République,  l’équilibre entre l’Etat et les collectivités locales. Les besoins exprimés par les populations ont changé de nature, le développement du territoire n’est pas seulement affaire de l’Etat. Beaucoup d’interventions qui font l’objet d’une forte demande, sont aujourd’hui de la compétence des collectivités locales : régions, départements, communes et leurs intercommunalités. Les administrations centrales ne sont pas toujours en mesure d’y répondre. Les collectivités territoriales ont des besoins en personnels qualifiés qui exigent des formations sensiblement les mêmes que celles qui sont aujourd’hui données par l’ENA. La première réforme à apporter est d’ouvrir un nombre de postes important, à la sortie, aux collectivités territoriales, en veillant à garantir à tous les mêmes droits.

La vie économique n’est plus celle du lendemain de la guerre, les grands secteurs du service sont souvent assurés par des entreprises privées au personnel  très nombreux aux compétences variées. Les hauts fonctionnaires peuvent y  exercer un rôle utile, si leur formation inclut les nouveaux défis auxquels notre pays a à faire face. Plutôt que de maintenir une situation dans laquelle ceux-ci attendent plusieurs décennies pour offrir leurs services pour des postes qui ne correspondent pas toujours à leur expérience professionnelle, pourquoi ne pas instituer des aller retours entre public et privé dès les premières années de fonction publique avec des règles statutaires qui garantissent le bon fonctionnement du système. Le secteur privé comprendrait mieux les préoccupations d’intérêt général défendues par la haute fonction publique et celle-ci s’ouvrirait aux évolutions rapides que connaît l’univers international dans lequel nous vivons.

Pour la mise en œuvre de ces changements, il faut s’appuyer sur ce qui fonctionne bien aujourd’hui, l’ENA peut avoir de nouvelles ambitions, s’appeler autrement, pourquoi pas ? son système de sélection peut être amélioré mais on ne raye pas d’un trait de plume une expérience de 75 ans. Cela est aussi vrai des écoles d’application de l’école polytechnique. Le changement oui, la changite non.