Questions à François Leblond, président d’honneur de la COFHUAT sur le logement social

 

Par votre expérience professionnelle qui vous a conduit dans de nombreux départements comme sous-préfet, puis comme préfet, vous avez pu observer l’évolution des élus locaux sur la construction de logements sociaux.

Pouvez-vous nous en parler ?

1/ Lorsque j’étais en stage à Bordeaux en 1964, Jacques Chaban-Delmas s’efforçait de construire des logements sociaux dans tous les espaces disponibles. Nous habitions la cité du Grand Parc, un deux pièces neuf. Ambiance très agréable dans l’immeuble où se retrouvaient des jeunes ménages. C’est Chaban-Delmas qui était aux commandes en la matière, il négociait chaque année avec l’Etat le nombre d’HLM qu’il désirait. Il avait aussi réalisé derrière la mairie le quartier Mériadec composé de beaucoup de logements sociaux. La politique du logement, c’était la ville qui la conduisait.

2/ Mon premier poste de sous-préfet: directeur de cabinet en 1966 en Vendée. La ville de La Roche-sur-Yon avait des besoins en logements que le maire discutait avec le ministre, Roland Nungesser, secrétaire d’Etat en charge du logement  qui était venu et nous lui avions arraché 100 HLM

3/ Mon retour en poste territorial en 1978 comme sous-préfet de Meaux. Les grands ensembles construits dix ans plus tôt à Meaux, Melun, Montereau, vieillissaient et on parlait déjà de les démolir. Le territoire de Marne-la-Vallée se construisait dans une tension forte avec les élus locaux nouvellement élus en 1977 qui entendaient contrôler toute la politique du logement mais voulaient que la ville se développe. Dans le reste de l’arrondissement, c’étaient les maires ruraux qui entendaient que soient construits sur leur commune des lotissements de maisons individuelles. Le maire d’Othis, 300 habitants, avait accueilli ainsi 1300 logements et s’était fait débarquer par les nouveaux venus, tous très critiques à l’égard du gouvernement.

4/ Lorsque j’étais préfet du Lot 1987-1989, la ville de Cahors avait, comme la plupart des villes moyennes, construit de nouveaux quartiers de logements sociaux, on n’en parlait guère, pas de problèmes majeurs de délinquance, mais on ne construisait plus, ce n’était pas un sujet.

5/ Mon passage à Avignon 1989-1991. La vieille ville superbe avait été entourée de quartiers sans âme où se concentrait la délinquance. Les maires du lendemain de la guerre avaient beaucoup construit, faisant doubler la population de la ville, installant dans les nouveaux ensembles les services essentiels, mais un sentiment d’insécurité commençait à s’y développer. On ne parlait plus de construire.

6/ Tours 1991-1992. Jean Royer avait été le modèle du maire bâtisseur et cela ne l’avait pas desservi. Quand j’allais le voir à la mairie, nous montions au-dessus de son bureau pour contempler le plan relief qu’il avait fait faire de toute la ville, où figuraient les quartiers nouveaux qu’il avait bâtis au bord du Cher. Son objectif était de continuer et il était vent debout contre le plan » Loire Vivante « qui supprimait les projets de barrages et rendait inconstructibles des quartiers nouveaux. Le logement, c’était lui et personne d’autre ! L’arrivée récente du TGV lui permettait de penser la ville comme devant connaître un développement nouveau.

7/ le Var 1992-1994. C’était dans l’agglomération de Toulon que s’était développée la construction de quartiers neufs sans âme. Pas question d’en construire de nouveaux et s’engageait, comme à Avignon, un début de politique de la ville.

8/ L’Essonne 1994-1996 avec la ville nouvelle d’Evry. La construction de logements sociaux se poursuivait, mais avec un établissement public qui n’associait que très modérément les collectivités locales. Pour le reste du département, l’heure était à la politique de la ville, nécessaire face aux difficultés rencontrées un peu partout avec les populations nouvelles, les difficultés maximum se situant à Grigny avec des bâtiments construits près de la gare en copropriété, Grigny 2, et le quartier de la Grande Borne, lieu d’une délinquance incontrôlée.

9/ Clermont Ferrand 1996-1999. Le maire, Roger Quillot est longtemps passé, avec son rôle dans les structures HLM, pour le modèle du maire bâtisseur. Lorsque, j’étais préfet de région, la question du logement ne se posait guère en cette ville et les élus se contentaient de gérer l’existant. La Région, présidée par Valéry Giscard d’Estaing, ne donnait pas une priorité à cette question.

10/ La ville de Senlis où je suis devenu quelques temps conseiller municipal après ma retraite. Elle avait, après la guerre, triplé sa population, en construisant plusieurs quartiers nouveaux. Le maire avait voulu, dans les années 70 en construire un quatrième, la population l’en empêcha et on n’en parla plus.

 

A la lumière de la crise actuelle du logement, que pouvons-nous attendre des élus locaux pour favoriser la construction de logements ?

De cette expérience passée, je conclus que la plupart des quartiers nouveaux d’après-guerre ne se sont développés que grâce aux élus.

C’est pourquoi il me semble que, dans la situation actuelle, très défavorable au logement, notamment logement social, l’Etat aurait intérêt à s’appuyer sur ceux des maires qui comprennent les besoins en logement. Cela pourrait se faire par une politique contractuelle menée conjointement par les préfets, les départements et  les intercommunalités, avec un rôle majeur des maires volontaires et des moyens financiers suffisamment souples pour être mieux adaptés à l’objectif visé.

Cela pourrait concerner en priorité les zones touristiques où les élus sont conscients des besoins de la population permanente, mais aussi d’autres. La région d’Ile-de-France est un sujet particulier car à la crainte des élus de voir arriver des populations nouvelles dont ils pensent qu’ils sont peu maîtrisables, s’ajoute un désordre administratif construit pendant les dernières décennies qui rend toute initiative individuelle d’un élu, inopérante.

Face aux élus, il y a eu presque toujours, dans le passé, des personnalités gouvernementales de haut niveau, comme Jean Louis Borloo, qui ont su résister au ministère des finances. Redonner aujourd’hui à des élus volontaires la possibilité de relever les défis essentiels suppose que le gouvernement montre l’intérêt qu’il porte au logement et à ses enjeux majeurs. La COFHUAT peut, par ses réflexions, apporter un éclairage utile aux responsables politiques.

 

 

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