Note sur la dimension institutionnelle du logement

Note sur la dimension institutionnelle du logement

(par Jean-Louis Helary)

 

Pour la bonne compréhension de cet article on lira utilement l’étude intitulée « Bernard Coloos & Jean Bosvieux Les obstacles à la densification du 21 mars_2022 » accessible par le lien suivant : B Coloos J Bosvieux – Les_obstacles_à_la_densification_21 mars_2022.

 

Le but de la présente note est de porter à la connaissance des lecteurs le point de vue de son auteur. La Cofhuat souhaiterait que les réactions éventuelles de nos lecteurs soient exprimées par écrit et adressées à l’adresse de messagerie de la Cofhuat « cofhuat@wanadoo.fr »

Le débat actuel sur les problématiques du logement est empreint d’un nombre élevé de défenses d’intérêts économiques différents.
L’année 2023 a été marquée par un fort ralentissement d’une part des transactions immobilières sur l’ancien et d’autre part par un net ralentissement du rythme de la construction.
De fait les professions de l’immobilier sont directement touchées, quel qu’en soit le type : agents immobiliers compétents en matière de vente ou de location, promoteurs, entreprises du bâtiment (et probablement davantage les « majors » du bâtiment que les artisans), notaires, bailleurs sociaux.
Cela explique l’ardeur des réactions de ces professionnels face à une situation qui paraît ne pas susciter de prises de position de la part du gouvernement.

Dans ce contexte on entend malgré tout des affirmations injustifiées comme par exemple :

  • la France doit produire 580 000 logements par an dont une part importante de logements sociaux alors qu’une fourchette tournant autour de 350 000 logements est donnée par l’Insee, depuis de nombreuses années, comme un chiffre objectif pivot,
  • le nombre de logements vacants augmente de façon importante, mais en omettant de dire où cette vacance se développe.
    Les cartes ci-dessous montrent que ce sont dans les territoires défavorisées que cela se produit.
    Ajoutons que les normes d’évaluation énergétiques, incarnées par le DPE (diagnostic de performances énergétiques), risquent d’exclure du champ de la location un nombre significatif de logements, faute de moyens financiers pour en assurer la remise aux normes (Cf article sur la remise en cause du DPE).
  • il serait nécessaire de développer un nouveau dispositif d’aide à l’investissement locatif. On oublie d’une part que la France est suffisamment endettée pour ne pas plonger à nouveau dans de   nouvelles dépenses publiques ; d’autre part que l’efficacité de ce type de dispositif a été maintes fois mise en doute par les rapports de la Cour des Comptes ou par ceux de l’inspection des   finances.

 

Au blocage de la construction ou des ventes de biens anciens on peut donner plusieurs raisons concomitantes :

  • le surenchérissement du coût du crédit et la frilosité des banques à accorder des prêts immobiliers,
  • l’augmentation des coûts de construction,
  • l’insolvabilité des ménages pour louer ou acheter, dont l’une des manifestations  la plus intéressante intervenues ces deux dernières années en matière d’inégalités est la grande augmentation du nombre de personnes payées au SMIC, par le double effet d’une augmentation de ce salaire minimum dans le but d’atténuer l’inflation ambiante et la non augmentation concomitante des rémunérations des agents économiques payés à peine au-dessus du SMIC.

Dans le même temps les prix ne diminuent qu’avec une grande parcimonie aussi bien en termes de vente que de location malgré, dans ce dernier cas, les dispositifs d’encadrement des loyers mis en place dans un certain nombre de villes. Les contrôles effectués après l’instauration de ces systèmes d’encadrement sont cependant insuffisants pour aboutir à des effets marqués.

Il est en outre à craindre, comme l’ont démontré certaines études, que si la méthode utilisée pour réaliser ces encadrements -et qui a été élaborée initialement à Paris – a bien pour résultat de limiter la hausse des loyers des 20% du parc locatif, essentiellement constitués de petits logements et de « chambres de bonnes », elle a pour conséquence néfaste de permettre aux propriétaires des autres 80% restant d’augmenter très sensiblement les loyers.

La question des zones touristiques est également soulevée.
Le problème posé oublie de citer les effets de la location sous forme de meublés touristiques du type Air BnB. Ce phénomène est effectivement moins présent dans les zones de montagne mais très fort en centres urbains ou sur les littoraux, avec des effets dévastateurs sur la possibilité aux locaux de se loger à un prix raisonnable, du fait de la raréfaction d’une offre locative locale.

Rappelons que l’enchevêtrement des compétences et prérogatives entre les différents niveaux de collectivités territoriales est important.
Sont susceptibles d’être concernés dans le process de production de logements les communes, les intercommunalités, les Départements, les Régions et l’Etat.

Pour simplifier cette imbrication, figurent ci-après deux tableaux, l’un portant sur les procédures d’autorisations directes du logement, et d’urbanisme, l’autre sur ce que l’on peut désigner sous le terme d’urbanisme opérationnel, qui renvoie à l’aménagement foncier et à la libération de fonciers constructibles et à la construction de logements.

En effet ce sont ces deux voies parallèles qui concourent à la production de logements neufs ou à la remise sur le marché de logements existants.

Tableau 1

 

Procédure Commune Interco. Département Région Etat
PC       X      X(1)
PLU       X(2)       X
PDALPDH          X(3)
PLH       X
SRADDET       X(4)
PPR      X
  1. L’Etat, dans le cadre de la loi SRU, peut reprendre la main dans le cas de communes n’observant pas les normes de production de LLS,
  2. De plus en plus de PLU sont passés en termes d’élaboration et d’approbation aux intercommunalités,
  3. Les PDALPDH sont des plans concernant exclusivement les populations les plus défavorisées mais sont d’un effet très limité en matière de production de logements neufs,
  4. La loi Climat et Résiliences a instauré le ZAN, qui devient donc une limitation à l’urbanisation. Ce sont les Régions qui doivent définir les normes de réduction que les territoires doivent observer pour obtenir, d’aujourd’hui à 2031, une diminution de moitié des terrains devant subir une artificialisation nette.

De ce premier tableau on peut déduire plusieurs remarques :

  • Si les Départements ne sont quasiment pas concernés par ces procédures, la grande innovation de la loi de 2021 (Climat et résiliences) a été d’introduire les Régions avec un poids prescriptif important pour les collectivités chargées d’élaborer les PLU,
  • On ne saurait omettre le poids des restrictions induites par les plans de prévention des risques (PPR) notamment dans les zones côtières et fluviales qui sont, par définition, les lieux les plus  importants en termes d’urbanisation ; or ces documents doivent  être révisés très régulièrement ne serait-ce que pour tenir compte des effets climatiques dont les effets observés sont de plus en plus violents,
  • Il faut rappeler que les PLH sont des programmes et ne sont donc pas prescriptifs à l’égard des PLU et qu’ils sont élaborés  strictement par les Intercommunalités.
    Sans en nier l’intérêt, le rapport fait par le CGEDD en 2016 sur l’articulation entre PLH et PLU avait mis en exergue que si les premiers donnaient des objectifs raisonnables aux yeux notamment des professionnels du logement, aussi bien publics que privés, il était loisible d’observer que les PLU encore élaborés par les communes édictaient bien souvent des règles réduisant la portée des objectifs fixés par les PLH ; ce constat est-il toujours valide[i] ?
  • Le vrai problème qui existe cependant est celui de la répartition des rôles entre communes et intercommunalités : si le PLH, et sans doute désormais le PLU, deviennent de plus en plus souvent de la compétence des secondes, les communes conservent toujours un droit de véto sur l’attribution finale du droit de  construire.

Il est probable que tout projet de mettre en place une nouvelle étape de décentralisation en matière de logements suscite les inquiétudes des élus territoriaux, qui y voient une menace de leur perte de compétence en matière de gestion des autorisations individuelles d’urbanisme, qui serait remise en cause au profit de l’émergence d’une autorité organisatrice qui ne pourrait alors qu’être l’intercommunalité. De fait le débat entre la place et donc la réduction du nombre des communes se pose avec toujours autant d’acuité. Pour ce débat quelques chiffres :

  • 1.200 intercommunalités sont constituées en France dont le territoire de certaines couvre la quasi-totalité du territoire de leur  département (Pyrénées-Atlantiques et Bouches-du-Rhône, voire le Rhône),
  • 34.955 communes existent encore alors qu’en moyenne en Europe occidentales ce nombre ne dépasse pas les 5.000 à 6.000.

En matière d’aménagement, et ce qui s’apparente à l’urbanisme opérationnel, le nombre de procédures est relativement plus important.
Il est d’ailleurs intéressant de constater là encore une forme de désordre juridique entre les divers outils existants. Ainsi la division parcellaire et le lotissement sont classés dans le code de l’urbanisme comme autorisation d’urbanisme au même titre que le permis de construire ou la déclaration préalable à des travaux. De même le droit de préemption urbain (DPU) qui est un outil juridique exorbitant dans le droit français qui depuis la révolution française a toujours mis en exergue la défense du droit de propriété foncière notamment, n’apparaît pas dans certains classements (Cf document du Cerema) comme un outil d’aménagement opérationnel. Or c’en est un, qui peut sur du long terme permettre la constitution de réserves publiques foncières fort utiles pour tenter de maîtriser les charges foncières. Par ailleurs tous les outils existants ne concourent pas nécessairement à libérer du foncier pour de la construction neuve. Ainsi la division parcellaire que certains auteurs ont mise en avant pour « créer « du foncier dédié à la construction sous la forme du Bimby (built in my back yard) est un outil qui s’appuie sur les règles existantes d’urbanisme mais reste peu maitrisable du strict point de vue de la puissance publique. Enfin le projet partenarial d’aménagement (PPA) s’appuie sur les terrains acquis par des promoteurs privés bénéficiant de droits à construire mais dont des négociations menées avec les puissances publiques chargées du PLU doivent permettre de reformater une offre de constructibilité plus importante.

 

Tableau 2

 

Procédures Commune Intercommunalité Département    Etat
Divi. parce        X
Lotissement        X
ZAC        X             X
ZAD        X             X           X(1)
OIN       X
PPA        X             X
ORT (2)        X             X
DPU        X             X
  1. Le fameux projet de Notre-Dame-des-Landes était une ZAD créée dans les années 80 par le Département de la Loire-Atlantique,
  2. Ce sont les opérations de revitalisations de territoire l’exemple le plus significatif étant l’action cœur de ville.

Les opérations de rénovation urbaine pilotées par l’ANRU sont à citer puisque par l’intermédiaire de démolitions et la définition de périmètres dans lesquels des opérations de restructuration foncière sont possibles, des offres immobilières diversifiées peuvent être créées. Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de ce tableau. On peut citer :

  • La disparition des Régions qui ont certes une compétence en  matière d’aménagement du territoire mais pas de l’espace, de même que les Départements qui sont des collectivités par ailleurs étouffées par l’exercice de leurs compétences sociales et la gestion des routes et des collèges
  • La confusion entre communes et intercommunalités dans la répartition des compétences entre la plupart des procédures citées dans le tableau est grande et dépend in fine de ce qui est pratiqué au plan local entre elles ; l’exception réside dans les deux premières qui ressortent strictement du champ communal de par le  Code de l’Urbanisme,
  • L’Etat intervient dans environ une dizaine d’opérations d’intérêt national, ce qui lui permet de prendre la main sur les outils de l’aménagement dans les périmètres concernés par l’ OIN
  • L’apparition du PPA dans la loi MOLLE de 2009, d’abord sous l’appellation de projet partenarial urbain (PPU), a sonné la réapparition de l’ancienne ZAC privé : en réalité même si la collectivité demeure maîtresse des procédures d’autorisation  d’urbanisme, cette forme de procédure, ne vise pas à la création directe de nouveaux fonciers urbanisables, mais démontre que les promoteurs sont devenus des acteurs puissants de la gestion foncière urbaine, ayant acquis des compétences réelles en matière de montages de projets complexes.

Les établissements publics fonciers ne sont pas cités dans ce tableau mais ils interviennent bien évidemment de façon importante au service des communes ou des intercommunalités avec lesquelles ils concluent des conventions de partenariat. La quasi-totalité du territoire national est couverte, encore qu’il y ait des régions, notamment dans l’Est, qui sont toujours très faiblement concernées par de tels types d’acteurs locaux ou nationaux.

En guise de conclusion le débat sur un nouvel acte de décentralisation paraît se poser autant, sinon plus, en termes de répartition des rôles de chaque niveau de collectivités territoriales que de leur donner des prérogatives nouvelles venant de l’Etat. Il ne s’agit pas de réduire l’intérêt pour les collectivités d’avoir la possibilité de moduler les conditions techniques et financières d’octroi des PTZ ou dans l’application des clauses liées aux loyers. Mais les facteurs de blocage entre les niveaux de collectivités et singulièrement les communes et les intercommunalités sont suffisamment nombreux pour expliquer que la définition d’un nouvel acteur comme une autorité organisatrice du logement se heurtera à des débats traduisant la nécessité de mieux réguler leurs places réciproques dans l’architecture de la puissance publique locale.

Rédigée le 22/01/2024

 

[1] Il ressort d’une étude locale, conduite en mars 2022 par Jean Bosvieux et Bernard Coloos, à la demande de la Fédération des Entreprises Sociales pour l’Habitat (ESH) et concernant 48 demandes d’autorisations de construire en Ile de France, les résultats suivants :

  • Dix-neuf projets, pourtant conformes au plan local d’urbanisme local, ont été réduits à la demande des élus. Le nombre de logements projeté a été réduit de 25%, passant de 941 à 700,
  • Vingt-neuf projets, pourtant conformes au plan d’urbanisme local, ont été purement et simplement supprimés, conduisant ainsi à la non réalisation de 1.312 logements.

Pour ces derniers les raisons évoquées ont été :

  • Pour dix projets et 313 logements, l’arrivée au pouvoir de nouveaux élus après les élections municipales,
  • Pour sept projets et 336 logements, l’opposition des riverains au motif de leur densité,
  • Pour cinq projets et 344 logements, l’absence de négociation préalable avec le maire,
  • Pour sept projets et 319 logements, pour différents autres motifs.

Au total, sur les 2.253 logements prévus, seuls 700 ont été autorisés, soit une « perte » de 1.553 logements, représentant 69% des logements envisagés.

 

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